Des témoignages anonymisés peuvent-ils être produits en justice s’ils ne sont pas corroborés par d’autres éléments de preuve ?
Un témoignage anonymisé, en quoi ça consiste ?
Il s’agit d’un témoignage rendu anonyme a posteriori afin de protéger son auteur, mais dont l’identité est connue par la partie qui le produit.
Il se distingue du témoignage anonyme, sur lequel le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante (Cass. Soc. 04/07/2018, n°17-18.241).
La règle applicable jusqu’à présent
Pour être recevable, le témoignage anonymisé doit être corroboré par d’autres preuves permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence (Cass. Soc. 19/04/2023, n°21-20.308 ; Cass. Soc. 11/12/2024, n°23-15.154).
Contexte de l’arrêt du 19 mars 2025 (n°13-19.154)
Un salarié avait été licencié au motif qu’il faisait régner un climat de peur dans l’entreprise.
Il lui était aussi reproché de ne pas respecter les horaires limitant le contact avec ses collègues s’étant plaints de la crainte qu’il suscitait.
Ce salarié avait contesté son licenciement en justice.
Pour se défendre, son employeur produisait des témoignages anonymisés de salariés de l’entreprise, recueillis par huissier.
La position de la Cour d’appel
Pour la cour d’appel, les témoignages produits doivent être déclarés “non probants”.
D’une part, les constats d’huissier reprenant le contenu des auditions de salariés (dont l’identité, à leur demande, n’est jamais révélée) sont l’unique preuve de l’employeur.
D’autre part, ces auditions constituent des témoignages anonymes et pas simplement anonymisés (absence de mention de l’identité, de l’emploi, de la période de collaboration, etc.).
La position de la Cour de cassation
La chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel.
Les témoignages anonymisés ne doivent pas être écartés des débats car ils ne portent pas atteinte au caractère équitable de la procédure.
Deux séries d’arguments sont à l’origine de cette décision :
- Il était bien question de témoignages anonymisés, recueillis par huissier de justice (qui a donc pu faire des vérifications), et dont la teneur avait été portée à la connaissance du salarié licencié ;
- L’anonymisation était nécessaire pour permettre à l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des salariés témoins.
En l’espèce, deux impératifs étaient mis en balance : d’un côté, les témoignages anonymisés portant atteinte à l’égalité des armes dans le procès et de l’autre, la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant accepté de témoigner.
La Cour de cassation juge qu’en l’occurrence, le caractère équitable de la procédure est assuré dans son ensemble, même si les témoignages anonymisés ne sont pas corroborés par d’autres éléments de preuve.
Reste à savoir
Quels autres principes justifieront de porter atteinte à l’égalité des armes dans le procès, sans remettre en cause l’équité de la procédure dans son ensemble ?
En particulier, la crainte légitime de mesures de rétorsion de la part de l’employeur permettra-t-elle à des salariés de produire des témoignages anonymisés sans autre preuve ?
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